Démocratie émergente

( Emergent democracy )

Par Joichi Ito

Version 1.3, 12 Mars 2003 http://joi.ito.com/static/emergentdemocracy.html

Traduction de François Granger ([a])

Sérieusement corrigé par Dolorès Tam et Catherine Dufour

Version 1.3.76fr 25/03/03 11:03:5025/03/03 10:03:57

 

Les créateurs d’Internet étaient engagés dans et promouvaient un Internet plus intelligent qui  permettrait de nouvelles méthodes démocratiques, et qui aiderait à corriger les injustices et inégalités du monde. En réalité, l'Internet d'aujourd'hui est un lieu bruyant avec une forte concentration de pouvoirs et non l'Internet démocratique égalitaire que beaucoup envisageaient.

En 1993, Howard Rheingold écrivait[1] :

Nous avons, pour le moment, accès à un outil qui pourrait apporter de la convivialité et de la compréhension dans nos vies, et pourrait aider à revitaliser la sphère publique. Ce même outil, mal contrôlé et utilisé, pourrait devenir un instrument de tyrannies. La vision d'un réseau de communication mondial conçu et contrôlé par les citoyens est un projet d'utopie électronique qu'on peut appeler l'"Agora électronique". A Athènes, la démocratie originelle, l'Agora était la place du marché et bien plus. C'était l'endroit ou les citoyens se rencontraient pour parler, bavarder, argumenter, se confronter, trouver les points faibles des idées politiques en les discutant. Mais une autre vision pourrait s'appliquer à l'utilisation du Réseau dans le mauvais sens, une sombre vision d'un endroit beaucoup moins utopique, le Panopticon.

Depuis, il a été critiqué pour la naïveté de ses idées[2]. C’est parce que les outils et protocoles de l’Internet n’ont pas encore assez évolué pour permettre l'émergence d'une démocratie sur Internet. Avec l’évolution de ces outils, nous sommes proches d’un éveil de l’Internet. Cet éveil résidera dans la mise en place, via la technologie, d’un modèle politique comportant toutes les caractéristiques de base de la démocratie, en opposition à la concentration du pouvoir au sein des grandes entreprises privées et des gouvernements qui existe actuellement. Il est possible que de nouvelles technologies permettent un plus haut niveau d'organisation, qui en retour permettra une forme de démocratie émergente. Cela autorisera une forme de démocratie directe nouvelle capable de gérer des problèmes complexes aide, modifie ou remplace notre démocratie représentative actuelle. Il est aussi possible que les nouvelles technologies donnent plus de pouvoir à des régimes terroristes ou totalitaires. Ces outils peuvent améliorer ou détruire la démocratie. Nous devons faire notre possible pour orienter le développement de ces outils vers une meilleure démocratie.

Démocratie

Dans le dictionnaire, la démocratie est définie comme "gouvernement par le peuple dans lequel le pouvoir suprême est investi dans le peuple et exercée directement par lui ou par ses représentants élus par un système électoral libre". Pour Abraham Lincoln, la démocratie est un gouvernement "du peuple, par le peuple, et pour le peuple"[3].

Rome, et la plupart des pays démocratiques plus récentes on choisies la forme républicaine de la démocratie représentative.

La démocratie directe convient mal aux groupes en croissance. Les masses inéduquées étaient considérées comme incapable de diriger directement. Les gens plus "aptes à diriger" furent choisis pour représenter les masses. La démocratie représentative permet aux meneurs de se spécialiser et de se concentrer sur des sujets complexes pour formuler des opinions informées alors qu'on ne peut pas attendre dune population peu éduquée et peu concernée une compréhension de tous les sujets.

L'échec de la démocratie à s'adapter à la croissance n'est pas difficile à comprendre. On ne pouvais pas s'attendre à ce que les pères fondateurs de ce pays, les "Liberté, Egalité, Fraternité" de France et les autres libéraux qui poussèrent la société vers la liberté au 17ème siècle, puissent appréhender la croissance des populations, l'évolution radicale des sciences, le développement des technologies et l'incroyable accroissement de la mobilité de l'information, de l'argent, des biens, des services et des gens. Ni qu'ils connaissent ou visualisent la topographie de pays comme les Etats-Unis, le Canada, et la Chine ou de continents comme l'Afrique, l'Europe du nord, la Russie ou l'Amérique Latine. Ils définirent des topographies de leur mieux. Mais ces prévisions n'ont que peu de points communs avec les réalités de l'environnement ou les augmentations de population, de commerce et de gouvernement. Fondamentalement, ils ne perçurent pas le besoin d'un droit à l'auto organisation – pour s'adapter à de tels changements d'échelle.[4] ( Dee Hock )

A mesure que les problèmes que gèrent les gouvernement deviennent plus vastes et plus complexes, des nouveaux outils permettent aux citoyens de s'organiser plus facilement. Il est possible que de tels outils permettent aux démocraties de croître et de s'adapter plus facilement.

Dans l'idéal, une démocratie est gouvernée par la majorité et protège les droits de la minorité. Pour que cela fonctionne, la démocratie doit encourager la confrontation des idées. Ce qui demande un débat critique, la liberté de parole et la possibilité de critiquer le pouvoir sans crainte de rétorsion. Dans une vraie démocratie représentative, le pouvoir doit être réparti et distribué pour permettre les contrôles et les contres pouvoirs.

Confrontation des idées

La confrontation des idées est essentielle pour qu’une démocratie accepte la diversité de ses citoyens et protège les droits de la minorité tout en permettant au consensus de la majorité de gouverner. Le déroulement du débat d'idées a changé avec l'évolution de la technologie.

Par exemple, l'apparition de l'imprimerie a permis de fournire davantage d'informations aux individus. Elle leur a donné un moyen de communication à travers le journalisme et la presse. Ce phénomène a progressivement été remplacé par des moyens de communication de masse gérés par des grandes sociétés. Ce phénomène a diminué la diversité des points de vue et masqué la confrontation des idées.

Débat critique et liberté de parole

La confrontation des idées demande un débat critique largement diffusé. Bien que nous ayons des outils pour gérer un tel débat, il y a de plus en plus d’obstacles à notre participation.

Le peuple[5]

"Si la nature a créé une chose moins soumise que toutes les autres à la propriété exclusive, c'est l'action du pouvoir de la pensée appelé Idée. Un individu peut la posséder de manière exclusive tant qu'il la garde pour lui-même. Mais au moment où elle est divulguée, elle entre de force en possession de tout le monde et le récipiendaire ne peut s'en déposséder. Son caractère particulier c'est aussi que personne n'en possède moins parce que tous les autre la possède en entier. Celui qui reçoit une idée de moi reçoit l'instruction elle même sans diminuer la mienne, comme celui qui allume sa chandelle à la mienne reçoit la lumière sans m'assombrir.

Que les idées se répandent librement de l'un à l'autre autour du globe, pour l'instruction morale et mutuelle de l'homme, et l'amélioration de sa condition, semble avoir été particulièrement et de manière bienveillante conçue par la nature quand elle les créa, comme le feu, extensible dans tout l'espace, sans diminuer leur densité à aucun endroit, et comme l'air dans lequel nous respirons, nous déplaçons et sommes physiquement, incapable de confinement ou d'appropriation exclusive." -- Thomas Jefferson.

Alors que la notion de propriété intellectuelle s'étend, ce qui était connaissance commune devient de plus en plus propriété d'entreprises. Comme l'infrastructure de communication devient davantage adaptée à la protection de la propriété qu'à la libre dissémination des idées, la possibilité de débat critique en est sévèrement réduite.

Même si les idées ne peuvent faire l’objet d’un copyright, les lois de protection du copyright, en devenant de plus en plus draconiennes, limitent leur libre utilisation, et d’endiguer le flot d'innovations. Ces lois ont le même effet que si les idées étaient possédées et contrôlées par les entreprises. Cela inclut le code qui contrôle la transmission et la reproduction des informations à l'intérieur des ordinateurs et des réseaux. Cela inclut aussi l'allocation de fréquences, qui détermine si les idées seront partagées par tous ou allouées aux grandes entreprises qui diffusent la propriété intellectuelle protégée[6].

Vie privée

Démocratie ou pas, il est très rare que les gens au pouvoir ou les puissants veuillent des "sujets" bien informés, bien éduqués, bien protégés dans leur vie privé et avec une totale liberté de parole. Ce sont les choses que le pouvoir craint le plus. Les anciennes formes de gouvernement avaient toutes les raisons de travailler en secret en refusant ces privilèges à leurs sujets. Les gens doivent être minutieusement surveillés et les gouvernants libres de tout examen.[7] ( Dee Hock )

En plus des possibilités légales et techniques de parler et de s'engager dans les débats critiques, le citoyen doit avoir le droit de parler sans crainte de mesures de rétorsion. Dans un monde de plus en plus complexe où les bases de données rendent possible le profilage de chaque individu, la protection des citoyens qui remettent en question le pouvoir et sonnent l’alerte doit être assurée. Les puissants ont de plus en plus de moyens de menacer les individus qui contestent leurs actions. Ce pouvoir doit être contrebalancé par la possibilité, pour chacun, contrôler son identité électronique plus en plus définie par de l'information rassemblée électroniquement.

Il est essentiel de comprendre la différence entre intimité et transparence. Quand les puissants rassemblent de l'information pour contrôler les faibles et se cachent derrière le secret, il s'agit d'une invasion de l'intimité et d'une méthode de sécurité basée sur la surveillance.

Dans une des premières critique de la proposition de carte d'identité ( Janvier 1986 ), le professeur Geoffrey de Q Walker, maintenant doyen de l'université de Queensland, fait cette remarque : [8] (Simon Davies)

"Une des oppositions fondamentales entre une société démocratique libre et un système totalitaire, c'est que le gouvernement totalitaire [ou d'autres organisations totalitaires] exige le secret pour lui-même mais la transparence pour tous les autres groupes, alors que dans la culture civique de la démocratie libérale, les positions sont approximativement inversées"

Steve Mann présente la notion de "sousveillance"[9] comme une méthode pour le public de surveiller l'ordre établis et de fournir un nouveau niveau de transparence. C'était le rôle de la presse. Mais avec des moyens de communication fortement orientés vers une rétroaction positive, les médias se sont concentrés sur des sujets de moindre importance qui reçoivent une attention démesurée. Citons pour exemple, la fascination des médias pour le cas de Gennifer Flowers déclarant qu'elle a eu une aventure avec le président Clinton.

Les carnets[b] ( weblog ou blog ) et d'autres formes de filtrage, couplées aux nombreuses technologies de capture et de transmission discutées par Steve Mann peuvent fournir une meilleure méthode pour capturer et filtrer les informations significatives  tout en éliminant les informations sans valeur dans lesquelles les atteintes à la vie privé dépassent la valeur pour le public.

Le cas Trent Lott est un exemple qui démontre la capacité des carnets à mieux identifier l'information pertinente que les médias : les médias nationaux parlèrent brièvement des commentaires racistes de Trent Lott lors du 100e anniversaire de Strom Thurmond. Alors que les médias nationaux avaient cessé d’en parler, les carnets continuèrent à ramener à la surface des preuves du passé haineux de Lott jusqu'à ce que les médias s'en émeuvent de nouveau et reprennent l'information plus en profondeur.[10]

L'équilibre entre ce qui est significatif et ce qui ne l’est pas est très difficile à trouver ; il est aussi primordial, et fortement influencé par la culture. Il faut des garde-fous pour vérifier que le mécanisme de filtrage n'est pas corrompu ou partisan. Cela passe par des vérifications, des équilibres et la combinaison de diverses méthodes.

Opinions et démocratie directe

La démocratie directe - le gouvernement du peuple par lui-même - est considérée comme impossible à réaliser à grande échelle à cause des difficultés techniques d'une telle gouvernance direct ;. et aussi du fait que la complexité qu'implique la direction d'un grand état exige une large compréhension des problèmes, la spécialisation et la division du travail. La démocratie représentative, où des représentants sont élus par le peuple via un vote, est considérée par la plupart comme la seule voie possible pour gérer une grande démocratie.

A mesure que le vote devient plus organisé et que la difficulté de participer au débat critique augmente, on découvre que les représentants du peuple représentent les gens qui ont le pouvoir d'influencer le vote et le débat public. Ces groupes sont des minorités qui ont une influence financière, ou une capacité à mobiliser des groupes de gens motivés par des moyens religieux ou idéologiques. Des extrémistes et des intérêts privés dominent beaucoup de démocraties. Et la majorité silencieuse a peu d'influence dans le choix des représentants ou sur le débat critique.[11]

Certains groupes ont sondé la majorité silencieuse et amplifié son opinion pour soutenir la politique des politiciens modérés. Un de ces groupes - Peaceworks - travaille en Israel et en Palestine. Il sonde l'opinion des citoyens moyens favorables à la paix, par téléphone et par Internet. Il donne un écho de ces opinions en les publiant dans les médias. Cette méthode de contournement de la pression traditionnelle sur les représentants, est une forme de démocratie directe qui devient de plus en plus populaire à mesure que la technologie facilite ces sondages.

En générale, le sondage comme forme de démocratie directe est particulièrement efficace pour des sujets simples, sur lesquels la majorité silencieuse a une opinion sous-représentée. Pour des questions plus complexes, cette démocratie directe est critiquée comme populiste et irresponsable.

Pour gérer ce problème, le Professeur James S. Fiskin a développé une méthode de sondage appelée sondage délibératif. Cette méthode combine la discussion en petits groupes et les échantillons scientifiques aléatoires pour augmenter la qualité et la profondeur de la compréhension des participants tout en conservant un échantillon qui reflète la répartition réelle de la population plutôt que la répartition du pouvoir politique. Le sondage délibératif a été utilisé avec succès pour sonder sur des sujets relativement complexes comme la politique d'imposition. [12]

Il est possible qu'il y ai une méthode permettant aux citoyens de s'auto-organiser pour discuter et gérer des idées complexes et améliorer la démocratie sans pour autant que chacun ait le contrôle ou la compréhension du système dans son ensemble. Nous nous trouvons là en présence du concept même d'"émergence" : c'est de cette manière que les colonies de fourmis sont capables de "penser", et notre ADN de construire le corps dans sa complexité. Si la technologie de l'information pouvait fournire aux citoyens d'une démocratie les moyens d'y participer, d'une façon qui permette l'auto-organisation et la compréhension émergeante il est possible qu'une forme de démocratie émergeante soit capable de gérer certains des problèmes de complexité et d'échelle que rencontrent nos gouvernements représentatifs d'aujourd'hui.

Dans les systèmes complexes, le rôle du meneur n'est pas de déterminer la direction et de contrôler les suiveurs, mais de maintenir l'intégrité, de représenter la volonté des suiveurs et de communiquer et d'influencer ses pairs et les meneurs[13]. Le meneur devient davantage "facilitation" et un gardien du processus qu'une image de pouvoir ; il est souvent le catalyseur ou l'animateur d'un débat critique ou le représentant d'un groupe impliqué dans un tel débat[14]. Le meneur comme est souvent le messager délivrant le consensus d'une communauté à un autre niveau ou un autre groupe. De fait, certains meneurs au sein des démocraties représentatives ont ce comportement. Et comme un animateur est nécessaire pour gérer le développement d'une opinion ou d'une idée concernant un sujet complexe, les technologies de l'information vont permettre de choisir les meneurs plus rapidement et de manière plus opportuniste, et leur donner la possibilité de représenter ces positions dans un débat plus large.

Emergence

Dans le domaine des systèmes complexes, l'idée d'émergence est utilisée pour indiquer l'apparition de motifs, de structures ou de propriétés qui ne semblent pas s'expliquer par la seule référence aux composants pré-existant du système ou à leur interaction[c]. L'émergence devient particulièrement importante comme hypothèse d'explication quand le système a les caractéristiques suivantes :

·    Quand l'organisation du système, son ordre global, semble plus visible et d'une nature différente que celle de ses composants séparés ;

·    Quand les composants peuvent être remplacés sans perte de fonction du système dans son ensemble ;

·    Quand les nouveaux motifs ou propriétés globaux sont radicalement nouveaux par rapport aux composants, et donc que le motif émergent semble imprévisible, ne peut être déduit des composants et paraît irréductible à ces composants.

(-- emergence.org[15])

Dans le livre Emergence, Stenven Johnson décrit des colonies de fourmis moissonneuses qui montrent une étonnante capacité à résoudre des problèmes difficiles, y compris des problèmes de géométrie. L'échange qui suit provient d'une interview avec Deborah Gordon, qui étudie les fourmis.

"Elle dit : 'Regardez ce qui se passe ici, elles ont construit le cimetière exactement au point le plus éloigné de la colonie. Et la décharge est encore plus intéressante. Elles l'ont placée au point le plus éloigné à la fois de la colonie et du cimetière. C'est comme si elles suivaient une règle : mettre les fourmis mortes le plus loin possible, et la décharge le plus loin possible sans qu'elle soit près des fourmis mortes.'"

Johnson explique qu'il n'y a pas de fourmis responsables. La résolution de ce problème par les fourmis est un comportement émergent, du fait qu'elles suivent des règles simples et qu'elles ont plusieurs manières d'interagire avec leur environnement et leur voisinage.

En suivant un ensemble de règles et par l'interaction avec son voisinage immédiat, le fœtus humain se développe en un nouveau niveau de complexité. Quand la première cellule se divise en deux, l'une devient la tête et l'autre le pied. A la division suivante, les quatre cellules déterminent si elles sont côté tête ou côté pied, et elles deviennent la tête de la tête ou le pied de la tête etc. Ces divisions et cette spécialisation continuent jusqu'à ce que, en très peu de temps, les cellules aient créé un corps humain complexe. Les cellules du foie savent qu'elles doivent se transformer en cellule du foie parceque leurs voisines sont des cellules du foie, et en utilisant le code génétique dans l'ADN qui sait exactement ce qu'il doit faire. Il n'y a pas de contrôle omniscient mais un très grand nombre de cellules interdépendantes suivant des règles, communiquant avec et sentant l'état de leurs voisines. [16]

Dans le livre The Death and Life of Great American CitiesVie et mort des grandes villes américaines ), Jane Jacobs prétend que la planification urbaine est un échec quand on a commencé planifie de haut en bas pour changer la nature du paysage urbain. La plupart des grands projets de constructions de grands immeubles d'appartement, initiés en vue d'améliorer la qualité des quartiers de ghetto n'ont pas atteint leurs buts. Par contre, les quartiers qui ont prospéré l'ont fait d'une manière émergente. Jane Jacobs affirme que l'interaction entre les habitants, sur les trottoirs et dans les rues, crée une culture du bitume et une compréhension qui fonctionne beaucoup mieux que le contrôle centrale pour l'aménagement des quartiers. Et qu'au lieu de raser les problèmes de la cité, les aménageurs devraient étudier les environnements qui fonctionnent, et essayer d'imiter les conditions qui favorisent un fonctionnement émergent positif. [17]

Carnets et émergence

Dans Emergence, Johnson dit :

La technologie qui sous-tend l'Internet - tout, depuis les micro-processeurs dans chaque serveur Web jusqu'aux protocoles ouverts qui gèrent les données - est un remarquable travail de conception destiné à supporter une croissance énorme de la charge. Mais elle est indifférente, sinon hostile, à la tâche de créer une organisation de plus haut niveau. Il y a un processus neurologique analogue à celui de la croissance démesurée de l'Internet. Mais ce n'est probablement pas quelque chose qu'on peut vouloir émuler. Cela s'appelle une tumeur du cerveau.

Emergence a été écrit en 2001. L'Internet a connu un changement depuis 2000 : les carnets, des sortes de journaux intimes en ligne, qui étaient dans l'air du temps depuis l'apparition du web[d], ont commencé à croître en nombre et en influence. Ces carnets commencent à montrer une capacité à gérer des tâches diverses. Cela apparaît comme un comportement émergeant, à cause de la nouvelle manière dont les carnets sont gérés.

Johnson explique pourquoi les pages web ne s'auto-organisent pas :

Les systèmes auto-organisant utilisent la rétro-action pour évoluer vers une structure plus organisée. Le web a des liens unidirectionnels intolérants à la rétro-action. Le Réseau n'a pas de moyen d'apprendre en grandissant. C'est pourquoi il est tellement dépendant des moteurs de recherche pour régire son chaos naturel.

Il décrit aussi comment, dans l'exemple des fourmis, les interactions simples, locales, aléatoires et nombreuses leur permet de montrer un comportement émergent.

Les carnets sont différents des pages web traditionnelles écrites à la main de plusieurs façons. Un carnet implique l'utilisation d'un outil de gestion de contenu qui facilite l'ajout d'articles, augmentant la fréquence des postes[e]. Les articles sont en générales de courts documents contenant une large gamme d'information, du texte, des photos, du son et des vidéos, globalement appelée micro-contenu[18]. La culture des carnets encourage l'auteur ( le propriétaire du carnet ) à commenter les entrées d'autres carnets et à créer un lien vers la source. Plusieurs systèmes ont des protocoles qui créent automatiquement un lien en retour depuis la source vers la nouvelle entrée. Les carnets créent des fichiers XML[19] conformes au protocole RSS[20] en plus des fichiers HTML. Cela permet de recevoir des mises à jours de carnets au travers de logiciels clients tels que Feedreader[21]  pour Windows et NetNewsWire[22]  pour Macintosh, qui scrutent en permanence l'arrivée de nouvelles entrées dans les carnets favoris de l'utilisateur.

Quand de nouvelles entrées sont ajoutées à un carnet, il envoie une notification à des services comme weblogs.com[23] , créé par Dave Winer qui garde trace des mises à jours presque en temps réel. Cette information est aussi utilisée par divers nouveaux services qui créent des méta-informations sur les carnets. Parmi les sites d'information sur les carnets, Blogdex[24] scrute les carnets pour trouver les articles cités et les classe par nombre de références. Technorati[25] classe les carnets en scrutant les liens entrant et sortant de chaque carnet vers les autres carnets et articles.

En plus de créer des liens entre articles de carnet, les auteurs créent des liens réciproques dans des "défileurs" (blogroll : liste des carnets favoris de l'auteur). Un service comme blogrolling.com[26]  aide les auteurs à gérer leur "défileur" (blogroll), et à voir qui a inscrit leur carnet dans leur propre "défileur" (blogroll). Un service comme Blogstreet[27]  permet de voir l'environnement d'un auteur en suivant et en analysant les liens.

La structure des carnets apporte une réponse au problème soulevé par Johnson sur les raisons pour lesquelles le Web ne s'auto-organise pas. Le feedback et les liens réciproques permettent aux carnets de montrer une auto-organisation émergeante.

La loi exponentielle

[28]

Dans un article largement distribué et lié, Clay Shirky explique que les carnets montrent un certain "ordre" parceque la communauté est encore réduite. Quand la communauté augmentera, cette organisation se fragmentera comme ça a été le cas pour d'autres communautés en ligne tels que les groupes de nouvelles Usenet, les listes de discussions et les groupes de discussions. Dans son article, Power Laws, Weblogs, and Inequality[29]Loi exponentielle, carnets et inégalités ), Clay Shirky explique qu'une analyse des liens entrant sur les carnets montre une distribution exponentielle standard. Une distribution exponentielle est une distribution dans laquelle la valeur de chaque unité est égale au nème ( 1/n ) de son rang. Le deuxième carnet a la moitié ( 1/2 ) des liens entrants du premier, le troisième le tiers ( 1/3 ), etc.

Cette courbe de distribution n'est pas évidente. Au début du web, les gens espéraient que la facilité de mise en oeuvre d'une page web augmenterait énormément le nombre de gens publiant leurs pensées, et que cela conduirait à un système décentralisé favorisant la diversité. Au contraire, les portails et moteurs de recherche ont canalisé le plus gros du trafic et une économie basée sur l'audience[30] s'est créée. Une économie où la ressource la plus rare est l'audience. Cette audience se traduit en trafic pour le site. Les gens passent par un portail qui les aide à trouver ce qu'ils cherchent. Puis ils vont sur les méga-sites de commerce et d'information qui fournissent des produits et de l'information de grande qualité. Très peu de gens arrivent sur les "petits sites". Cette économie de l'audience donne de la valeur au trafic. Ce trafic est acheté aux sites les plus populaires sous forme de liens et de bandeaux publicitaires, qui constituent la plus grande source de revenu des portails et moteurs de recherche.

Shirky pense que les carnets en haut de la courbe vont probablement devenir des mass médias, et que ceux du bas de la courbe auront du mal à trouver une audience. De ce fait, ils ressembleront à des conversations locales entre amis. Il explique qu'il sera de plus en plus difficile de détrôner les sites du haut de la courbe, et les données de sa courbe de distribution exponentielle confirment cette affirmation.

Beaucoup d'auteurs de carnets ont eu une réaction négative à l'analyse de Shirky. Malgré la courbe exponentielle, beaucoup de sites du haut de la courbe n'étaient pas très connus. Je pense qu'il y a beaucoup de maximums locaux et qu'une analyse en deux dimensions ne reflète pas les aspects les plus intéressants des carnets.[31]

L'écosystème de Mayfield

[32]

Ross Mayfield propose une autre manière de comprendre l'économie politique des carnets. Mayfield fait remarquer que les liens n'ont pas tous la même valeur. Il explique qu'il y a trois types de réseaux qui se développent.

Le premier réseau, le réseau politique, obéit à la loi exponentielle et ressemble à une démocratie représentative, où des carnets reçoivent des liens de milliers d'autres carnet. Ces liens représentent quelque chose comme un vote. Les carnets au sommet de cette courbe ont une très forte influence.

Le deuxième réseau est le réseau social. Les réseaux sociaux sont la forme traditionnelle du carnet. La loi de 150 est une théorie selon laquelle un individu peut avoir une moyenne de 150 relations personnelles. Cette loi peut être représentée par une courbe de distribution en cloche où certains carnets reçoivent plus d'attention que d'autres, et qui représente a peu près équitablement la qualité des carnets.

Le troisième réseau est le réseau créatif. Le réseau créatif est un réseau plat orienté vers la production, constitué d'associés proches ayant une grande confiance mutuelle et un réseau de liens dense. Il semble que 12 soit le nombre optimal de personnes pour tenir une conversation ou former une équipe resserrée.

La force des liens faibles

Dans The Strength of Weak Ties, Mark Granovetter[33] décrit l'importance des liens faibles dans les réseaux. Les liens forts sont des liens serrés au sein de petits groupes, comme la famille ou un département académique. Les liens faibles sont des liens existant entre des gens qui relient ces petites communautés. Granovetter étudie la recherche d'emploi et montre que les gens ont plus de chance de trouver du travail par leurs liens faibles que par leurs liens forts.

La force des liens faibles est illustrée dans la fameuse expérience "Six degrees of separation" ( Six degrés de distance ) de Milgram.

En 1967, Milgram, un chercheur en Psychologie sociale, envoya environs 300 lettres à des habitants de Omaha ( Nebraska ), sélectionnés au hasard, avec mission de faire parvenir cette lettre à une unique personne-cible à Boston, en utilisant uniquement des contacts personnels.

Milgram donna à chaque "émetteur" le nom, l'adresse et le métier de la cible. Si l'émetteur ne connaissait pas la cible, ce qui était probable, il pouvait transmettre la lettre à quelqu'un qu'il pensait plus près de la cible. Cela entraîna la création d'une chaîne d'émetteurs envoyant les lettres à des amis ou relations dont ils pensaient qu'ils étaient plus proches de la cible.

Soixante lettres atteignirent leur but. Il y eut en moyenne six étapes

Six degrees of separation montre le pouvoir des liens faibles et la manière dont les communautés à lien fort sont connectées par un petit nombre de liens faibles.

Ce qui rend les carnets aussi puissants, c'est leur capacité à fonctionner aux trois niveaux décrits par Mayfield. Un unique carnet, ou même un unique article dans un carnet, peut avoir en plus de son impact créatif, un impact social et politique.

Beaucoup d'auteurs de carnets commencent à l'écrire pour communiquer avec leur cercle de relation restreint. Ils créeront des liens et communiqueront à l'intérieur de leur petit groupe. Un jour, ils découvriront une information ou un point de vue qui résonnera au niveau supérieur, au niveau social. Leurs relations sociales récupéreront ces articles pour les diffuser dans leur propre réseau social. De cette façon, un petit groupe, concentré sur un domaine très local, peut occasionnellement fournir un article qui déclenchera un lien faible transmettant cet article au niveau suivant. Si l'article entre en résonance avec d'autres carnets, l'intérêt pour la source va rapidement augmenter, puisque l'information va voyager avec un lien vers la source. Et la source va être capable de continuer à participer à la conversation puisqu'elle connaîtra les liens qui pointent vers elle.

De cette manière, la rétroaction positive des carnets permet d'identifier l'information importante au niveau politique, en transmettant l'information au travers des liens faibles.

Le système réduit le bruit et amplifie le signal. Dans un premier temps, les 12 pairs lisent le sujet au niveau du réseau créatif de Mayfield. Le niveau social scrute les carnets de ses 150 relations et passe les informations significatives au niveau du réseau politique. Le réseau politique a un certain nombre de maximum locaux qui représentent un autre niveau. En vertu du phénomène des six étapes, il faut très peu de liens avant qu'un sujet globalement significatif globalement trace son chemin vers le sommet de la courbe du pouvoir. Cela permet la spécialisation et la diversité au niveau créatif sans générer de bruit au niveau politique.

Le réseau de carnets pro-guerre et anti-guerre en train de débattre actuellement donne un exemple intéressant de maximum local. Chaque maximum local représente l'agrégation d'un réseau de carnets de chaque bord. Ils créent des liens entre les deux bords, au sein d'un échange très intense entre carnets, avec assez peu de bruit et dans un débat critique de haute qualité.[34]

Le cerveau et les réseaux excitables

Peter Kaminski fait les observations suivantes

Depuis quelques années, je travaille sur l'hypothèse que le processus de la pensée dans nos cerveaux, décrit par William Calvin comme "la propriété émergente de réseaux d'excitation récurrents dans la couche superficielle du cortex cérébral", se développe d'une manière similaire aux gens qui travaillent en groupe et en groupes de groupes, jusqu'à la démocratie directe.[35]

Dans la théorie de Calvin, le cortex cérébral est constitué de colonnes de neurones très interconnectés. Ces colonnes réagissent à certains types d'entrées. Quand elle sont excitées, elles excitent leurs voisines. Si les colonnes voisines réagissent aux mêmes motifs, elles excitent à leur tour leurs voisines. De cette manière, la couche superficielle du cortex cérébral agit comme un espace de vote, chaque colonne de neurone étant excitée par un ensemble de motifs ( idées ) choisissant de résonner et excitant leurs voisins. Quand un nombre significatif de colonnes réagit au même motif, la pensée devient compréhension. Il y a des entrées dans différentes colonnes des organes des sens, et des sorties vers d'autres organes qui agissent à partire de cette compréhension.

Le modèle de Calvin, qui décrit comment nous pensons, montre que le cerveau utilise l'émergence, la force des liens faibles et un modèle d'excitation de voisinage pour résoudre les pensées. La structure du cerveau est très semblable à l'écosystème de Mayfield. Le fait qu'une colonne excite seulement ses voisines est un des éléments-clef. Ce facteur auto-limitant est aussi l'un des facteurs que Johnson décrit dans le comportement émergent des fourmis. Les carnets sont aussi limités par le fait qu'un individu ne peut lire qu'un nombre restreint d'articles chaque jour, et pas sa tendance à lire non pas les carnets très politiques, mais les carnets sociaux ou créatifs intéressants. Cette rétroaction modératrice est essentielle pour maintenir le volume d'interaction dans la zone d'émergence, entre le bruit complètement aléatoire et l'ordre complètement inutile.

Confiance

Pour comprendre les relations entre les composants du réseau et la nature du comportement émergeant dans les réseaux humains, il est important de bien comprendre le sujet de la confiance.

Francis Fukuyama, dans son livre TrustConfiance ), affirme que ce sont les nations capables de créer un niveau de confiance plus large que le groupe familial et plus petit que la nation, qui ont été capables de créer une organisation large et pouvant croître. En Allemagne ce furent les guildes, au Japon les "iyemoto" ( Familles féodales qui acceptaient des nouveaux membres ) et aux Etats Unis, différents groupes religieux.

Toshio Yamagishi[36] fait la distinction entre l'assurance et la confiance[37]. Yamagishi explique que dans une société fermée, les individus n'ont pas confiance dans la fiabilité de l'autre. Ils sont assurés du comportement de l'autre à cause de l'impossibilité de s'échapper et de la peur de la punition. Dans les communautés ouvertes, où les individus sont libres d'entrer et de sortir, la confiance et la fiabilité sont essentielles à la construction d'organisations collaboratives. Yamagishi fournit des données montrant que les sociétés fermées, comme le Japon présentent une plus faible proportion de gens qui font confiance aux autres qu'une société ouverte comme les Etats Unis, où la confiance individuelle est nécessaire.

Yamagishi a conduit une expérience en créant un marché électronique où les gens se vendent et s'achètent des biens. Les participants peuvent mentire sur la qualité des produits qu'ils vendent. Dans le scénario du marché fermé, où la réputation des participants est surveillée et où ils ne peuvent changer d'identité, la qualité des transactions est naturellement haute. Dans un système complètement anonyme, la qualité est très basse. Quand les participants ont le droit de changer d'identité et que l'on ne surveille que la réputation négative, la qualité commence haute, mais diminue avec le temps. Quand les participants peuvent changer d'identité et qu'on ne surveille que la réputation positive, la qualité est basse au démarrage et augmente au fil du temps. A terme, elle approche la qualité des transactions d'un marché fermé. [38]

A mesure que les réseaux deviennent plus ouverts et plus complexes, les réseaux fermés fondés sur la possibilité de punir les membre et d'exclure les inconnus deviennent très limités. Les réseaux ouverts évolutifs, qui reposent sur la possibilité de faire confiance à l'autre et d'identifier la fiabilité par un système de gestion de réputation positive, sont gradués et souples. Les liens entre les carnets, la possibilité de voir l'historique des individus dans leur carnet et la persistance des articles, favorisent la mise en place du système de réputation positive. La confiance et la réputation construites grâce aux réseaux créatifs, sociaux et politiques sont visibles par le respect mutuel. Ce respect est reconnu et illustré par les liens et les liens réciproques, particulièrement dans le comportement d'affichage d'un défileur et dans les liens et citations. Un autre facteur permettant de maintenir un haut niveau de confiance c'est de créer une éthique de la fiabilité. La fiabilité vient de l'estime de soi, qui implique la motivation par la confiance en soi plutôt que par la peur et la honte. [39]

Les outilleurs

Après la bulle Internet, un grand nombre de programmeurs et d'architectes de talents n'étaient plus concentrés sur la création de composants pour des grands projets, lesquels étaient souvent condamnés par des business-plans construits à la va-vite pour plaire aux investisseurs. Ces programmeurs et architectes sont maintenant davantage concentrés sur des petits projets, créant des outils et inventant des architectures pour eux-mêmes, plutôt que pour des clients imaginaires sur des marchés imaginaires à la demande d'investisseurs imaginant leur valorisation de sortie.  Ces outilleurs utilisent les outils pour communiquer, discuter et concevoir l'infrastructure. Ils partagent l'information, créent des standards et collaborent pour assurer la compatibilité. La communauté des outilleurs de carnets et technologies associées est une communauté bourdonnante, semblable à L'Internet Engineering Task Force ( Groupe de travail pour l'ingénierie d'Internet [f] ) au début de l'Internet, quand des programmeurs indépendants furent autorisés à écrire des logiciels réseaux, et donc à entrer dans le domaine réservé des grands fabricants de matériel et des entreprises de télécommunication. La communauté des développeurs de logiciels de carnet a d'abord développé des outils pour elle même. Elle a maintenant un impact et une influence sur les mass-média, les politiques, les réseaux scolaires et universitaires, et les studios d'Hollywood.  On peut espérer découvrire une manière de développer le réseau des carnets qui permette aux auteurs de jouer un rôle de plus en plus important dans la société.

Ou en somme nous ?

On annonce aujourd'hui que Google[40], un des moteurs de recherche les plus prisés, est en passe d'acheter le plus utilisé des moteurs ( ou outil ) de carnet, Blogger[41]. Il y a plusieurs millions de carnets sur Internet. Néanmoins, les outils sont encore d'usage difficile pour beaucoup. Et la grande majorité n'a encore jamais entendu parler de carnet. Les carnets sont encore essentiellement un phénomène américain, bien que la tendance soit en forte croissance dans d'autres pays.

Chaque jour de nouveaux outils, de nouvelles fonctions et de nouveaux styles de carnet sont inventés, annoncés et discutés. De nouveaux développements sont à l'horizon.

Un des aspect des carnets qui leur confère une plus grande valeur que les pages web réside dans la fréquence et la rapidité des discussions. Récemment, un groupe de carnetistes dont je fais partie a commencé à organiser des "Happening"[42]. Pendant cette conférence téléphonique, ils utilisent un "chat" pour des conversations parallèles et pour modérer la conférence téléphonique, et un Wiki[43][g] pour offrir un espace de collaboration. Par nature, un carnet est presque aussi rapide que le courrier. Mais la messagerie instantanée, le "chat" et la voix fournissent un autre niveau de communication plus rapide et plus personnel, quand l'urgence d'un sujet approche la "vitesse de libération".

Avec l'augmentation des appareils sans fils, l'écriture mobile de carnet ou "moblogging"[44] commence à connaître le succès. Des gens ajoutent des photos et du texte à partir de leur téléphone ou d'autres appareils mobiles. L'information géographique devient disponible aux dispositifs mobiles. Le "mobblogging" va devenir une manière d'annoter le monde réel, permettant aux gens de laisser des informations concernant des endroits particuliers ou de chercher des informations à propos d'un lieu précis. Bien que le "moblogging" ait des problèmes de confidentialité, il peut contribuer à la notion de "sousveillance" développée par Steve Mann.

Tous ces développements sont des outils reliés par des standards ouverts grâce à une communauté active d'architectes et de programmeurs. Un dialogue, des outils et une méthode pour gérer ce dialogue sont en train d'apparaître.

Cet article a été écrit en utilisant cette méthode. Différentes personnes étaient engagées dans une série de conversations, via leurs carnets, à propos de démocratie, d'outils pour carnets, de débats critiques, et aussi de la guerre, de la vie privée et d'autres sujets évoqués dans cet article. Comme toutes ces idées commençaient à être reliées les unes aux autres à travers les carnets, un groupe s'est formé autour du concept de démocratie émergeante. J'ai demandé aux contributeurs de me rejoindre dans une conférence téléphonique. Nous avons eu une première conférence réunissant environ 12 personnes afin de définir les sujets principaux.  Ross Mayfield a appelé cette conférence un "happening".

Nous avons planifié une autre conférence téléphonique de 20 personnes. Des participants de la première conférence ont fourni les outils pour faciliter le "happening", à savoir un Wiki, un carnet[45] pour lister les articles des différents carnets ayant trait à la démocratie émergeante, un "chat", et un pont gratuit pour la conférence téléphonique[46]. Ce second évènement a permis de pousser la discussion au niveau suivant. Cela m'a donné l’opportunité d'organiser certains des thèmes et de rédiger le premier brouillon de cet article.

J'ai posté ce brouillon sur mon propre carnet[47] J'ai reçu un certain nombre de commentaires et de corrections qui ont initié un dialogue par courrier à propos de sujets voisins. La plupart de ces retours a été incorporée dans la version définitive de l'article. Il constitue ma version d'un dialogue qui se déroule actuellement sur Internet. Il n'aurait pas pu être écrit sans cette communauté et ses outils. [48]

Conclusion

Le monde a plus que jamais besoin d'une démocratie émergente. Les formes traditionnelles de la démocratie représentative sont à peine capable de gérer l'étendue, la complexité et la rapidité des questions du monde d'aujourd'hui. Les représentants des nations souveraines, qui négocient dans un dialogue global, ont une capacité limitée à traiter ces questions globales. Les médias monolithiques, et leur représentation du monde de plus en plus simpliste, ne permettent pas la confrontation d'idées nécessaire pour atteindre un consensus. La démocratie émergente a le potentiel de résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés dans ce monde extrêmement complexe, tant à l'échelle nationale que globale. La communauté des outilleurs doit être encouragée à prendre en contre le potentiel de progrès de leurs outils sur le processus démocratique. Ils doivent aussi prendre en compte les risques de détournement de ces outils aux profits du terrorisme ou d'une société de surveillance.

Nous devons  protéger la possibilité du public de disposer de ces outils en protégeant la communauté.. Nous devons ouvrir le spectre et le rendre disponible aux gens tout en résistant au contrôle de plus en plus étroit de la propriété intellectuelle. Nous devons résister à l'implémentation d'architectures qui ne soient pas ouvertes et accueillantes. Nous devons travailler à fournir un accès à Internet au plus grand nombre en rendant les outils et l'infrastructure moins cher et plus faciles à utiliser.

Finalement, nous devons explorer les chemins par lesquels cette nouvelle forme de démocratie se transforme en action et comment elle influence le système politique existant. Nous pouvons lancer la démocratie émergeante en utilisant les outils pour développer des outils et en en créant des exemples concrets de démocratie émergeantes. Ces exemples peuvent créer les bases d'une compréhension de la manière dont la démocratie émergeante peut être intégré dans la société dans son ensemble.

 



[1] Rheingold, Howard. ( 1993 ) Virtual Community Communauté virtuelle ). Consulté le 18 Février 2003, depuis http://www.rheingold.com/vc/book/

[2] Rheingold, Howard. ( 2001 ) MIT Press. 2001 Edition of The Virtual Community. Chapter 11, "Rethinking Virtual Communities, ( Repenser les communautés virtuelles ) pp 323-

[3] The United States Department of State. What is Democracy? - Defining DemocracyDépartement d'état des Etats Unis[Ministère de l'intérieur]. Qu'est-ce que la démocratie ? - Définir la démocratie ). Consulté le 16 Février 2003, depuis http://usinfo.state.gov/products/pubs/whatsdem/whatdm2.htm

[4] Hock, Dee. Courrier à Joichi Ito. 8 Mars 2003. Consulté depuis http://joi.ito.com/archives/2003/03/10/an_email_from_dee_hock_about_the_emergent_democracy_paper.html

[5] Lessig, Lawrence. ( 2002 ). The Future of IdeasLe future des idées ). Consulté le 16 Février 2003, depuis http://cyberlaw.stanford.edu/future/

[6] Pour plus d'information, voir : Frankston, Reed, and Friends. The Intellectual Property MemeLe meme de la propriété intellectuelle ). Consulté le 16 Février 2003, depuis http://www.satn.org/archive/2003_01_26_archive.html

[7] Hock, Dee. Courrier à Joichi Ito. 8 mars, 2003. Consulté depuis http://joi.ito.com/archives/2003/03/10/an_email_from_dee_hock_about_the_emergent_democracy_paper.html

[8] Davis, Simon. http://wearcam.org/envirotech/simon_davies_opposition_to_id_card_schemes.htm

[9] Mann, Steve. "Sousveillance, not just surveillance, in response to terrorism" ( 'sousveillance', pas seulement surveillance, en réponse au terrorisme ). Consulté le 18 Février 2003, depuis http://www.chairetmetal.com/cm06/mann-complet.htm

[10] Shachtman, Noah. Blogs Make the HeadlinesLes carnets font la une ). Wired News. Consulté le 18 Février 2003, depuis http://www.wired.com/news/culture/0,1284,56978,00.html

[11] Ito, Joichi. ( 2002 ). Rebuilding Modern Politics: Can the System Fix Itself? Joi Ito's Web ( Reconstruire la politique moderne : Le système peut-il s'auto réparer ? Site de Joi Ito ). Consulté le 16 Février 2003, depuis http://joi.ito.com/archives/2002/09/23/

[12] Fishkin, James S. The Center Deliberative Polling. Consulté le 12 mars 2003, depuis http://www.la.utexas.edu/research/delpol/

[13] Hock, Dee. ( 1999 ). Leader-Follower. Future Positive. Consulté le 16 Février 2003, depuis http://futurepositive.synearth.net/stories/storyReader$173

[14] Ito, Joichi. ( 2003 ). Leadership in an emergent democracy. Joi Ito's Web ( Leadership dans une démocratie émergente. Site de Joi Ito ). Consulté le 16 Février 2003, depuis http://joi.ito.com/archives/2003/02/16/leadership_in_an_emergent_democracy.html

[15] Institute for the Study of Coherence and Emergence. Emergence.org ( Institut pour l'étude de la cohérence et de l'émergence. Emergence.org ). Consulté le 16 Février 2003, depuis http://emergence.org/Emergence/Whyemergence.html

[16] Johnson, Steven. ( 2001 ). Scribner.  Emergence.

[17] Jacobs, Jane. ( 1961 ). Random House, Inc. The Death and Life of Great American CitiesVie et mort des grandes villes américaines ).

[18] Weinberger, David. Small Pieces Loosely JoinedPetites pièces jointes dans le désordre ). Consulté le 18 Février 2003, depuis http://www.smallpieces.com/

[19] "Extensible Markup Language ( XML ) est un format textuel simple et flexible dérivé de SGML (  ISO 8879  ). Créé à l'origine pour résoudre les problèmes de publication électronique à grande échelle, il joue un rôle de plus en plus grand dans l'échange d'une large palette de données sur le web et ailleurs". Consulté le 16 Février 2003, depuis http://www.w3.org/XML/ - intro

[20] "RSS est un format de partage de contenu pour le web. Son nom est l'acronyme de Really Simple Syndication ( Publication simultanée réellement simple ). RSS est une variété d'XML. Tous les fichiers RSS doivent être conformes a la norme XML 1.0 publiée sur le site du World Wide Web Consortium ( W3C ). Au plus haut niveau, un document RSS est un élément <rss> avec un attribut obligatoire, appelé version, qui indique la version de RSS à laquelle ce document se conforme". Consulté le 16 Février 2003 depuis http://backend.userland.com/rss

[21] http://www.feedreader.com/

[22] http://ranchero.com/software/netnewswire/

[23] http://www.weblogs.com/

[24] http://blogdex.media.mit.edu/

[25] http://www.technorati.com/

[26] http://www.blogrolling.com/

[27] http://www.blogstreet.com/

[28] "433 carnets triés par nombre de liens entrant. Les données sont tirées des travaux de N.Z Bear fait en 2002 à propos de l'écosystème de la blogosphere. La version actuelle de ce projet se trouve à http://www.myelin.co.nz/ecosystem/". Shirky, Clay. ( 2003 ). Power Laws, Weblogs, and Inequality. Clay Shirky's Writings About the Intenet ( Loi exponentielle, carnets et inégalités. Essais de Clay Shirky à propos de l'Internet ). Consulté le 16 Février 2003, depuis http://www.shirky.com/writings/powerlaw_weblog.html

[29] Shirky, Clay. ( 2003 ). Power Laws, Weblogs, and Inequality. Clay Shirky's Writings About the Intenet ( Loi exponentielle, carnets et inégalités. Essais de Clay Shirky à propos de l'Internet ). Consulté le 16 Février 2003, depuis http://www.shirky.com/writings/powerlaw_weblog.html

[30] Goldhaber, Michael. ( 1997 ) The Attention Economy and the NetL'économie de l'audience et Internet ). First Monday. Consulté le 16 Février 2003, depuis http://www.firstmonday.dk/issues/issue2_4/goldhaber/

[31] Ito, Joichi. ( 2003 ). Are 2D power law graphs the way to look at weblogs? Joi Ito's Web ( Les courbes exponentielles en deux dimensions sont-elles la meilleure manière de représenter les carnets  Carnet de Joi Ito ). Consulté le 16 Février 2003, depuis http://joi.ito.com/archives/2003/02/10/are_2d_power_law_graphs_the_way_to_look_at_weblogs.html

[32] Mayfield, Ross. ( 2003 ) An Ecosystem of NetworksUn écosystème de réseaux ). Consulté le 18 Février 2003, depuis http://radio.weblogs.com/0114726/2003/02/12.html

[33] Granovetter, Mark. ( 1973 ). The Strength of Weak TiesLa force des liens faibles ). American Journal of Sociology, 78 ( May ): 1360-1380

[34] http://www.nowarblog.org/mt/mt-tb.cgi?__mode=view&entry_id=703

[35] Kaminski, Peter. ( 2003 ) Self-similar Scaling and Properties of Recurrent Excitatory Networksdéveloppement auto-similaire et propriétés des réseaux d'excitation récurrente ). Consulté le 16 Février 2003, depuis http://www.istori.com/log/archives/00000237.html

[36] http://lynx.let.hokudai.ac.jp/members/yamagishi/english.htm

[37] Yamagishi, Toshio. ( 1999 ) Tokyo: Chuo Koron Shinsha. From assurance based society to trust based society: Where is the Japanese system heading? ( In Japanese ) ( D'une société de l'assurance à une société de la confiance : Dans quelle direction va le système Japonais ?  )

[38] Yamagishi, Toshio and Matsuda, Masafumi. ( 2002 ) Improving the Lemons Market with a Reputation System: An Experimental Study of Internet AuctioningAméliorer le marché du citron avec un système de réputation : une étude expérimentale de système d'enchère sur Internet ). Consulté le 18 Février 2003, depuis http://joi.ito.com/archives/papers/Yamagishi_ASQ1.pdf

[39] Vasconcellos, John. University of California Press. The Social Importance of Self-Esteem. ( L'importance sociale de l'estime de soi )

[40] http://www.google.com/

[41] http://www.blogger.com/

[42] http://radio.weblogs.com/0114726/2003/02/15.html - a291

[43] Voir PortlandPatternRepository pour un exemple de Wiki. Consulté le 16 Février 2003, depuis http://c2.com/cgi/wiki

[44] http://radio.weblogs.com/0114939/outlines/moblog.html

[45] http://topicexchange.com/t/emergent_democracy/

[46] http://www.freeconference.com/Home.asp

[47] http://joi.ito.com/archives/2003/02/16/emergent_democracy_paper_draft.html

[48] Remerciements à tous ceux qui ont participé au "happening", envoyé des suggestions et laissé des commentaires dans mon carnet à propos de cet article. Clay Shirky, Ross Mayfield, Pete Kaminski, Gen Kanai, Liz Lawley, Sébastien Paquet, Flemming Funch, Adina Levin, Edward Vielmetti, Greg Elin, Stuart Henshall, Jon Lebkowsky, Florian Brody, Mitch Ratcliffe, Kevin Marks, George Por, Dan Gillmor, Allan Karl Weblog, Rich Persaud , George Dafermos, Steve Mann, Karl-Friedrich Lenz , Toph, Chris Case and Howard Rheingold. Faites-moi savoir si j'ai oublié quelqu'un.



[a]  Remerciements à Dolorès Tam alias La Grande Rousse qui tient ce carnet : http://radio.weblogs.com/0105068/
Et à Catherine Dufour, auteuse de romans de science fiction voir : http://www.noosfere.org/icarus/livres/auteur.asp?numauteur=-49515
http://192.168.1.20:8000/cgi-bin/pyblosxom.cgi/catherinedufour

[b] Là, je vais me faire crucifier ;- ). Je me range à l'avis de "La grande rousse". [en]This word is a choice of a canadian blogger, la grande rousse. http://radio.weblogs.com/0105068/2002/07/19.html

[c] On dit "Le tout est supérieur à la somme des parties".

[d] Web est un raccourci pour World Wide Web ( Toile d'araignée mondiale ), un ensemble de services et de protocoles apparus en 1993, fournissant des possibilités de navigation hypertexte sur l'infrastructure d'Internet.

[e] Le mot semble adapté. Poster un article c'est l'envoyer sur son site web pour qu'il soit lu par le publique.

[f] Voir la RFC1391 pour une définition des rôles de l'IETF. http://faqs.org/rfcs/rfc1391.html

[g] Un Wiki est un logiciel serveur permettant a plusieurs personnes de créer et de modifier des pages web commune facilement